[Veille] Hypoesthésie du NAI suite à une pose d’implants

Une complication bien identifiée du traitement implantaire à la mandibule est l’atteinte du nerf alvéolaire inférieur. Suivant l’atteinte et la prise en charge de la complication, cette dernière peut être de gravité variable, temporaire ou irréversible. Un contentieux porté devant le juge civil permet d’apprécier les conséquences médico-légales d’un tel incident.

Tribunal judiciaire, 1ère Chambre, Marseille, Jugement du 14 mai 2024, Répertoire général nº 24/00010

En l’espèce, un patient de 60 ans est pris en charge au sein d’un centre dentaire marseillais aux fins de réaliser un traitement implantaire en regard des dents 36, 45 et 46. Au décours du traitement, une atteinte du nerf alvéolaire inférieur (NAI) survient en regard du secteur droit et conduit à une perte de sensibilité (hypoesthésie labiomentonnière unilatérale droite).

En vue d’obtenir l’indemnisation des préjudices subis, le patient saisit alors les juridictions civiles, sans même s’engager dans une démarche amiable préalable auprès du centre (qui reste, il convient de le rappeler, facultative). Une expertise judiciaire est alors diligentée. Les conclusions du rapport conduisent le patient à rechercher la responsabilité du centre dentaire.

L’existence d’une faute technique

L’expert relève l’existence d’une faute technique ayant conduit de manière directe et certaine à la survenue de l’atteinte du nerf alvéolaire inférieur. Il met en cause des « puits de forage implantaire en site 45-46 trop profonds avec effraction du toit du canal alvéolaire inférieur« .

Sur le fondement de l’article L. 1142-1 I du Code de la santé publique, le juge engage la responsabilité civile du centre dentaire, au titre de l’existence d’une faute technique.

Il reconnaît à la victime plusieurs préjudices et précise que son état est consolidé :

Dépenses de santé actuelles (dépenses correspondant aux frais médicaux, pharmaceutiques et d’hospitalisation exposés par les organismes sociaux et par la victime) : le juge alloue 1340 euros pour des dépenses justifiées par la victime.

Frais divers (frais autres que les frais médicaux restés à la charge de la victime, tels que les honoraires déboursés auprès du ou des médecins l’ayant conseillé ou assisté au cours des opérations d’expertise) : le juge alloue 480 euros pour des frais de dentiste conseil de victime (« dentiste de recours ») justifiés par la victime.

Souffrances endurées (il s’agit d’indemniser les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, dignité et intimité et des traitements, interventions, hospitalisations qu’elle a subis depuis l’accident jusqu’à la consolidation) : le juge évalue ce préjudice à hauteur de 3000 euros « compte tenu des douleurs essentiellement morales, du ressenti sur le plan psychique du trouble de la sensibilité labiomentonnière droite« .

Déficit fonctionnel permanent (ce poste tend à indemniser la réduction définitive après consolidation du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s’ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions) : le juge indemnise la victime à hauteur de 2800 euros, qu’il justifie de la manière suivante : « l’expert l’évalue à 4% pour l’hypoesthésie labiomentonnière unilatérale droite et son retentissement psychique. Il convient de retenir l’âge de la victime à la date de la consolidation, soit 60 ans s’agissant de Monsieur [P]. Ainsi, en reprenant le taux retenu par l’expert de 4%, et une valeur de point à 1.400, il convient d’évaluer le préjudice subi à la somme de 2.800 euros. »

Le juge écarte toutefois un déficit fonctionnel temporaire (avant consolidation), l’expert n’ayant pas retenu un tel déficit et le patient ne justifiant en rien son existence.

En définitive, le juge indemnise les préjudices subis par Monsieur [P] en lien avec la faute technique survenue au décours du traitement implantaire à hauteur de 7620 euros.

Un défaut d’information également préjudiciable

Distinct de la faute technique, le défaut d’information constitue également une faute susceptible d’engager la responsabilité civile du prestataire de santé (qu’il s’agisse d’un chirurgien-dentiste libéral, d’un centre dentaire ou d’un hôpital), sur le fondement de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique. Sur le plan de la preuve, c’est au prestataire de santé de démontrer qu’il a correctement informé le patient.

Dans le cas du présent contentieux, le juge reconnaît l’existence d’un défaut d’information ayant conduit, pour la victime, à un préjudice d’impréparation :

« En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise que des devis ont été établis pour la pose d’implants et couronnes, ainsi qu’un document de consentement éclairé aux soins prothétiques. Cependant, l’éventualité du risque de lésion du nerf alvéolaire inférieur qui assure la sensibilité labiomentonnière n’est pas évoqué dans ce document, qui ne concerne que la phase prothétique du traitement. Le docteur [B] ne démontre pas avoir informé oralement son patient de ce risque« .

Le juge indemnise ce préjudice d’impréparation à hauteur de 3000 euros.

En conclusion

Dans cette décision de première instance, le juge engage la responsabilité civile du centre dentaire, en qualité d’employeur du chirurgien-dentiste qui a mis en oeuvre le traitement implantaire litigieux.

L’engagement de la responsabilité est fondé sur l’existence d’une faute technique (forage important des sites 45 et 46) ayant causé le dommage corporel et d’une faute non-technique (défaut d’information) ayant causé un préjudice d’impréparation.

Le centre dentaire est condamné à indemniser les préjudices reconnus par le juge, ainsi que les frais de justice et d’expertise.

Si le centre dentaire peut faire appel de la décision, la clarté des débats et les conclusions objectives du juge de première instance permettent de suggérer qu’une telle démarche ne sera pas fructueuse pour la structure.

Last but not least, les conséquences médico-légales des atteintes du nerf alvéolaire inférieur, dans le cadre des traitements d’implantologie orale, ont fait l’objet d’une publication scientifique de l’auteur en 2022, dans la revue Journal of Stomatology, Oral and Maxillofacial Surgery.