Ce n’est pas parce que le patient s’engage dans un contentieux ayant pour objet un traitement dentaire qu’il doit s’abstenir de régler le coût dudit traitement. Un principe rappelé dans une décision de justice du mois de juin 2024 portant sur un traitement d’implantologie orale, qui illustre le rôle protecteur du devis en chirurgie-dentaire.
Tribunal judiciaire, 19ème Chambre, Affaires contentieuses, Paris, Jugement du 17 juin 2024, Répertoire général nº 21/11928
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Quand lama faché, lama cracher et lui toujours faire ainsi (Tintin, le temple du soleil). Oui mais quand patient pas content, patient devoir quand même payer traitement et lui toujours faire ainsi, comme le rappelle le juge civil dans la décision du Tribunal judiciaire de Paris du 17 juin 2024.
Les faits
En 2009, une patiente bénéficie d’un traitement implantaire de grande étendue ai maxillaire, exécuté par deux praticiens (l’un effectuant la phase chirurgicale et l’autre, la phase prothétique). Mécontente des soins réalisés, elle sollicite une expertise amiable auprès de l’assureur d’un des praticien. L’expert missionné par la compagnie d’assurance conclut à des soins prothétiques non conformes.
La patiente décide alors de s’engager dans une voie contentieuse auprès des juridictions civiles. L’expert judiciaire conclut que « la simultanéité des actes [engage] les deux praticiens conjointement et qu’il n’était pas possible de dissocier les responsabilités par rapport à l’échec du traitement » et chiffre les préjudices. Une provision est alors allouée par le juge à la patiente.
Près de dix ans s’écoulent et la patiente sollicite une nouvelle fois le juge civil aux fins de se faire indemniser l’intégralité de ses préjudices, qu’elle évalue à hauteur de 60 000 euros.
Quant aux défendeurs, ils sollicitent (entre autres) du juge que la somme de 6370 €, correspondant au coût d’une partie du traitement litigieux réalisé, soit déduite du montant total de l’indemnisation. Nous allons nous pencher sur la décision du juge à ce sujet
Sur la question des honoraires à rembourser
Un des deux praticiens affirme que la patiente n’a jamais réglé ses honoraires, dont le montant s’élèverait à la somme de 6370 €. Il demande que cette somme soit déduite de l’indemnisation au titre du poste de préjudice « dépenses de santé futures » (DSA).
Pour sa défense, la patiente prétend qu’aucun devis pour lequel elle aurait donné son accord n’est versé aux débats, permettant de prendre connaissance du détail de la somme sollicitée et des interventions effectuées dont le chirurgien-dentiste demande le paiement.
Le juge relève : « il ressort des pièces versées aux débats qu’un devis daté du 15 novembre 2007 a été établi par le praticien au nom de la patiente, d’un montant de 6370 € concernant « la pose de 7 implants en place de 13-14-16-23-24-26 & 27 (3 implants de gros diamètre) » et que par courrier du 27 mai 2009, ce praticien a rappelé à cette patiente qu’il était toujours dans l’attente du règlement des honoraires de chirurgie pour ledit montant. Il résulte également des pièces du dossier et des débats que cette dernière a accepté que cette prestation de soins, fût-elle contestable totalement ou partiellement dans sa réalisation, soit effectuée par le praticien, objet du présent litige« .
Le juge décide donc de déduire la somme réclamée par le praticien à l’indemnité qui sera versée à la patiente au titre des dépenses de santé futures.
S’il n’est pas précisé dans la présente décision de justice si le devis a été ou non signé, le juge relève que la prestation a été effectuée, quand bien même sa réalisation est contestable au point d’engager la responsabilité du professionnel de santé. Ce faisant, il n’est pas possible pour la partie demanderesse de se décharger de régler le montant de la prestation litigieuse.
La posture du juge est utile et permet d’éviter que des patients indélicats ne s’engagent systématiquement dans des démarches contentieuses à l’issue de traitements lourds et non payés, quand bien même les traitements auraient été réalisés conformément aux données acquises de la science.
Quelques rappels sur l’incidence du devis dentaire en matière de responsabilité du chirurgien-dentiste
Le devis dentaire est un document conventionnel (= qui résulte de l’application de la convention dentaire) qui permet à tout chirurgien-dentiste de respecter les obligations légales et déontologiques qui s’imposent à lui en matière d’information du patient (notamment sur le montant des honoraires) et de fourniture de dispositifs médicaux.
L’absence de devis ou un devis mal renseigné peuvent conduire le chirurgien-dentiste à se faire sanctionner par la DGCCRF voir, en cas de contentieux, par le juge.
Voici un exemple (CA Toulouse, 1re ch., 11 octobre 2004, n° 03/04772) : dans le cas d’un chirurgien-dentiste réclamant une somme élevée à la suite de travaux prothétiques, un juge de première instance a rejeté la demande d’honoraire au motif que « les honoraires ne pouvaient être réclamés dans la mesure où le praticien ne faisait pas la preuve d’une information loyale, d’un plan de traitement adapté et du caractère non réutilisable des prothèses réalisées ». De plus, la patiente, demanderesse, conteste avoir eu connaissance du devis et l’avoir signé. Le chirurgien-dentiste a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour faux et usage de faux et condamné pour usage de faux. Le juge d’appel conclut : « le [chirurgien-dentiste] ne peut se prévaloir de ce devis et il convient de confirmer le jugement déféré dans la mesure où la provision effectivement versée est satisfaisante au regard de l’efficience des soins apportés ». Il est intéressant, dans ce cas, de relever l’engagement de la responsabilité pénale du chirurgien-dentiste libéral, en plus de sa responsabilité civile.
Le présent contentieux du Tribunal Judiciaire de Paris montre que le devis peut également jouer un rôle « protecteur » pour le chirurgien-dentiste, quand bien même sa responsabilité médicale est engagée pour faute à l’issue d’un traitement litigieux.
Vous trouverez d’autres exemples et une analyse plus poussée sur le sujet dans l’excellente thèse du Dr Margot GUICHARD portant sur le devis en odontologie, et dans son article portant sur les résultats de la thèse dans la Revue Santé Publique.