[Veille] De la possibilité d’une expertise (judiciaire)

Tribunal judiciaire, Chambre des référés, Paris, Jugement du 29 mars 2024, Répertoire général nº 23/59209

Un patient recherche la responsabilité médicale d’un chirurgien-dentiste ou de l’établissement de santé qui l’emploie. Cette démarche contentieuse impose, de la part de la partie demanderesse, la production de pièces permettant au juge d’ordonner une mission d’expertise, mission qui lui sera utile à l’appréciation des faits allégués. Dès lors, le « peu » de pièces présentées par la partie demanderesse constitue-t’il un obstacle à l’initiation d’une mission d’expertise judiciaire ? Un contentieux en matière d’extraction dentaire est l’occasion d’apporter des réponses à ce sujet.

LES FAITS

En novembre 2023, une patiente engage une action en responsabilité à l’égard d’un chirurgien-dentiste libéral auprès du juge civil. Elle allègue une erreur de diagnostic ayant conduit à l’extraction de sa première molaire maxillaire droite (dent n° 16) en 2021.

Elle assigne en référé le chirurgien-dentiste, aux fins d’obtenir la désignation d’un expert judiciaire ainsi que la condamnation du professionnel à lui payer la somme de 5000 euros, à titre de provision, et celle de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Toutefois, la patiente ne verse aucune pièce médicale établie par le chirurgien-dentiste incriminé, excepté une radiographie !

Or, le juge ne peut initier une mission d’expertise – une mesure d’instruction – qu’à partir du moment où il existe un motif légitime de le faire. Et ce, au visa de l’article 145 du code de procédure civile qui dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Dès lors – et pour reprendre le texte de la présente décision judiciaire – il convient, pour la partie demanderesse, de pouvoir démontrer l’existence « d’un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée [en l’occurence, la mission d’expertise judiciaire]« .

LA décision

Le juge relève que la réalité des soins qui ont été prodigués à la patiente, par le chirurgien-dentiste incriminé, n’est pas contestée et rend donc vraisemblable l’existence des dommages allégués. Ce faisant, il existe un motif légitime, au sens de l’article 145 du Code de procédure civile, de recourir à une mesure d’expertise.

Si le juge ordonne une mesure d’expertise, il met à la charge de la partie demanderesse le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert, en guise de consignation.

Également, le juge déboute la patiente de sa demande de provision, au motif « qu’aucun des éléments versés aux débats ne permet, à ce stade, d’établir l’existence d’un manquement du praticien« . Dès lors, si la patiente obtient le déclenchement d’une mission d’expertise, elle en supportera la charge financière.

Autre élément intéressant, il est précisé, dans la décision, que la patiente avait initié une démarche devant la chambre disciplinaire du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes, qui n’avait pas retenu la responsabilité disciplinaire du praticien. Si la responsabilité disciplinaire et la responsabilité civile sont distinctes, l’absence d’engagement de la responsabilité disciplinaire et le peu de preuves apportées par la partie demanderesse devant le juge civil sont des indices qui permettent de penser que l’action initiée par cette dernière a de faibles chances d’aboutir en sa faveur… Si elle décide d’aller jusqu’au bout de sa démarche bien entendu.


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