[Veille] dommage en chirurgie-dentaire et perte de gains professionnels

Cour d’appel de Paris, Pôle 4, Chambre 10, Arrêt du 21 décembre 2023, Répertoire général nº 20/12132

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Une patiente, architecte, bénéficie d’un traitement prothétique de grande étendue et particulièrement coûteux (près de 40 000 euros). Ce traitement se révèle toutefois défectueux et la patiente s’engage dans une procédure contentieuse à l’égard de son chirurgien-dentiste (libéral). Elle réclame notamment près de 450 000 euros en Perte de Gains Professionnels.

L’indemnisation de la perte de gains professionnels en dommage corporel

La Perte de Gains Professionnels (PGP) est un poste de préjudice qui figure dans la nomenclature Dintilhac, qui distingue la perte de gains professionnels actuels de la perte de gains professionnels futurs.

La Perte de Gains Professionnels Actuels, ou PGPA, correspond aux  pertes de revenus subies durant l’arrêt de travail, avant la date de consolidation. Le préjudice sera indemnisé en calculant la différence entre les revenus précédant l’accident et les revenus perçus durant l’arrêt de travail (indemnités journalières…).

La Perte de Gains Professionnels Futurs, ou PGPF, répare les pertes de gains liées à un changement d’activité ou à l’impossibilité de travailler partiellement ou totalement, au regard de la situation antérieure de la victime.

Au moment de l’expertise, le demandeur doit apporter des éléments objectifs permettant d’évaluer ces pertes de revenus.

Les faits

Une patiente consulte un chirurgien-dentiste libéral pour remédier à ses problèmes dentaires (abcès dentaires récurrents au niveau de dents couronnées). Ce praticien préconise une réhabilitation prothétique de grande étendue, effectuée en moins de deux mois (!), pour un coût de 39 870 euros.

Insatisfaite du résultat, elle consulte d’autres chirurgiens-dentistes qui se montrent très critiques à l’égard du travail effectué. Elle sollicite son assureur, qui missionne un dentiste conseil pour évaluer l’état de la patiente. Le rapport de cet expert est cinglant. Il conclut : « Les prothèses qui ont été réalisées par [le praticien incriminé] présentent de nombreuses insuffisances techniques et il faudra donc prévoir la réfection des travaux prothétiques qui ont été réalisés par ce praticien. Au total, il apparaît que la responsabilité civile professionnelle du [praticien incriminé] est engagée dans ce dossier. »

Sur le fondement de ce rapport, la patiente s’engage dans une démarche contentieuse à l’égard du chirurgien-dentiste. L’expert missionné par le juge civil rend des conclusions semblables à celles du rapport de l’expertise déclenchée par l’assureur de la plaignante. Le juge verse alors une provision de 30 000 euros à la plaignante.

Quelques années plus tard, l’état de la patiente est consolidé. Cette dernière sollicite donc une nouvelle expertise pour fixer ses préjudices de manière définitive. L’expert évalue les préjudices, parmi lesquels la « perte de gains professionnels futurs » : 30 demi-journées.

Le juge de première instance alloue la somme de 4847,87 euros au titre des « pertes de gains professionnels », au vu du chiffre d’affaires moyen réalisé de 2012 à 2015.

La patiente interjette appel, au titre notamment du montant alloué pour la perte de gains professionnels

La décision d’appel

En appel, la patiente demande la somme de 444 376 euros. Elle expose exercer la profession d’architecte à titre libéral et travailler pour les collectivités territoriales et l’État et qu’elle a perdu des contrats, parce qu’elle manquait de confiance en elle en raison de ses problèmes de prononciation dans les réunions et de sa peur de voir ses bridges se fracturer et ses dents tomber, la représentation étant une composante essentielle de son métier.

La partie défenderesse demande quant à elle la confirmation du jugement  jugement déféré de ce chef.

Au cours de la mission d’expertise réalisée en première instance, l’expert a considéré que 30 demi-journées de travail sont concernées au titre de la perte de gains professionnels, en se basant sur le nombre de demi-journées consacrées aux traitements dentaires. Il note qu’aucun arrêt de travail ne lui a été remis par la patiente. Sur cette base, le premier juge a fixé sa perte de gains professionnels à la somme de 4847,87 euros.

Pour le surplus de la demande, l’appelante, qui dans le cadre de l’expertise avait évalué ce poste de préjudice à la somme de 65762 euros alors que devant la cour elle demande la somme de 444376 euros, n’établit pas suffisamment de lien de causalité direct et certain entre la baisse de son chiffre d’affaires et les interventions fautives du chirurgien-dentiste incriminé.

La patiente produit des attestations de ses confrères, mais le juge d’appel considère ces attestations comme insuffisantes à la démonstration du lien de causalité entre le traitement défectueux et le préjudice : « L’attestation en date du 18 décembre 2017 de Monsieur [W], directeur AMO grands projets, selon lequel le mauvais déroulement de la présentation orale d’un projet leur aurait fait perdre un marché, qui ne comporte pas les mentions prévues à l’article 202 du code de procédure civile (notamment qu’elle est établie en vue de sa production en justice), est en tout état de cause insuffisante à établir ce lien de causalité de même que celle de Monsieur [G], architecte, évoquant ses problèmes d’élocution et selon lequel elle aurait à cette période renoncé à des appels d’offre, la perte du marché évoqué et ces refus pouvant avoir d’autres causes« .

Ce faisant, le juge d’appel conclut confirme la décision du juge de première instance quant au montant de la Perte de Gains Professionnels.

Cette décision est également intéressante, en ce qui concerne les aspects de procédure : en effet, la plaignante a également recherché la responsabilité d’un autre chirurgien-dentiste qui a effectué la reprise des soins, sans toutefois y parvenir.


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