Tribunal administratif, Lyon, Jugement nº 2305701 du 19 décembre 2023
Dans un jugement du 19 décembre 2023, le juge administratif se prononce sur les conséquences dommageables d’une ostéotomie bimaxillaire à visée prothétique. S’il écarte tout défaut d’information de la part de l’hôpital concerné, le juge retient des fautes techniques dans l’exécution de l’intervention, de nature à engager la responsabilité de l’établissement public de santé.
Le 9 mai 2019, une patiente bénéficie d’une ostéotomie bimaxillaire avec génioplastie à visée prothétique, une intervention de chirurgie maxillo-faciale, au sein du centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne. Des complications surviennent à l’issue de cette intervention, ce qui conduit la patiente à rechercher la responsabilité du centre hospitalier devant le juge administratif.
Si la patiente invoque un défaut d’information à l’origine de ses préjudices (article L. 1111-2 du Code de la santé publique), le juge écarte ce motif : « Il résulte de l’instruction, notamment du courrier, produit par la requérante, en date du 19 février 2019 et adressé au chirurgien-dentiste de Mme B épouse C par le docteur D, praticien hospitalier au service de chirurgie maxillo-faciale, plastique et esthétique du centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne, que ce praticien a, le 19 février 2019, avant de réaliser le 9 mai 2019 l’intervention litigieuse d’ostéotomie bimaxillaire, informé la patiente de ce que le calage occlusal post-opératoire serait de mauvaise qualité et à risque de récidive nécessitant une réhabilitation prothétique post opératoire précoce, de ce que l’absence de correction des axes incisifs entraînerait un défaut de correction esthétique de la pro-alvéole ainsi que des risques d’hypoesthésie du nerf alvéolaire inférieur et des risques hémorragiques et infectieux. Dans ces conditions, est sérieusement contestable le moyen tiré de ce que le docteur D n’aurait pas délivré à Mme B épouse C une information préalable complète sur les risques présentés par l’intervention d’ostéotomie bimaxillaire envisagée. Par suite, est sérieusement contestable le principe de l’obligation d’indemnisation du centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne à raison d’un défaut d’information sur les risques présentés par ladite opération chirurgicale. »
Toutefois, le juge, se fondant sur les conclusions de l’expert, retient l’existence de fautes techniques dans la réalisation de l’intervention : « à l’occasion de la réalisation […] de l’ostéotomie bimaxillaire avec génioplastie à visée prothétique, un repositionnement trop antérieur de la branche montante mandibulaire droite a eu pour conséquence un conflit intra-articulaire limitant les mouvements, un contact prématuré et douloureux avec la tubérosité maxillaire homolatérale et une encoche du bord basilaire mandibulaire droit avec déviation du menton à droite et a compromis la mise en place de prothèses, que la mise en œuvre d’autogreffes graisseuses, sans discussion d’une solution chirurgicale autre par lifting cervico facial, a généré un alourdissement des tissus traités et aggravé la ptose tissulaire et que n’a pas été envisagée une reprise précoce de l’ostéotomie avec plaques occlusales compensant les espaces prothétiques sur les zones édentées. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport de l’expert et n’est pas contesté par le centre hospitalier universitaire, que ce repositionnement trop antérieur de la branche montante mandibulaire droite, la mise en œuvre d’autogreffes graisseuses et l’absence reprise précoce de l’ostéotomie n’étaient pas conformes aux règles de l’art et constituent ainsi des fautes de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne. »
La responsabilité pour faute de l’établissement public de santé est donc engagée, sur le fondement de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique.
Dans un second temps, le juge se prononce sur les préjudices évalués par l’expert :
- Un déficit fonctionnel temporaire (DFT) de 29,5 %,
- Des souffrances endurées (SE) cotées à 3/7,
- Un préjudice esthétique temporaire (PET) coté à 3/7,
- Un déficit fonctionnel permanent (DFP) de 29,5 %,
- Un préjudice esthétique permanent (PED) coté à 3/7,
- Un préjudice d’agrément (PA) coté à 2/7
- Un préjudice sexuel (PS) coté à 1/7.
Dans ces conditions, le juge alloue une indemnité provisionnelle de 50 000 euros à la patiente et de 14 630 euros à la CPAM de la Loire (remboursement des frais d’hospitalisation et des frais médicaux, pharmaceutiques et d’appareillage), somme à laquelle s’ajouter 1162 euros, versés à la CPAM au titre du 9ème alinéa de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale (indemnité forfaitaire de gestion).
Une condamnation lourde, pour une intervention incertaine et particulièrement dommageable.