[Veille] Bris et mutation

Dans une décision du 12 décembre 2024, le juge des référés se penche sur l’étendue de l’incidence professionnelle résultant d’un bris d’aiguille d’anesthésie particulièrement dommageable. À la clé, une provision importante pour la victime, contrôleur aérien qui devait être muté professionnellement en Polynésie française.

Tribunal judiciaire de Nanterre, 12 décembre 2024, RG n° 24/01591 (lire)

Les faits

Au sortir du confinement lié à la pandémie du COVID-19 en mai 2020, un patient, contrôleur aérien, bénéficie d’une extraction de dent de sagesse mandibulaire (n° 38). Au décours de l’anesthésie, un fragment d’aiguille para-apicale reste enclavé dans le muscle ptérygoïdien médian gauche, ce qui engendre par la suite des infections et un important retentissement psychologique.

Une première expertise amiable est initiée par l’assureur, qui conclut à une maladresse fautive du chirurgien-dentiste et à un lien de causalité direct et certain entre l’accident et le dommage. L’assureur propose une transaction de près de 12 000 €, qui sont refusés par le demandeur, qui porte l’action en justice.

Devant le juge, le patient sollicite plus de 590 000 € et ce, afin de compenser la perte de revenus et indemnités liés à une mutation professionnelle à Tahiti, obtenue en février 2020 et qui devait être effective à compter de décembre de la même année. En effet, les complications vécues à la suite du bris d’aiguille l’ont conduit à renoncer à cette affectation, avant d’être déclaré inapte médicalement à ses fonctions.

La décision

Prenant en compte les documents versés aux débats par le demandeur (notamment, un arrêté ministériel de mutation), le tribunal reconnaît la réalité de la mutation et du renoncement contraint. Il n’accorde toutefois qu’une indemnisation partielle : seule la perte de revenus entre janvier 2021 et avril 2024 est retenue, pour un montant de 176 883,78 €, jugé non sérieusement contestable. Les indemnités de résidence et d’éloignement sont quant à elles écartées, leur caractère incertain relevant d’un examen au fond.

Ainsi, ce poste professionnel pèse lourdement dans la provision globale allouée au demandeur, portée à près de 212 000 €, incluant également les souffrances endurées, le déficit fonctionnel temporaire, le déficit fonctionnel permanent et les frais divers, dont les montants se rapprochent de ceux retrouvés « classiquement » en chirurgie dentaire.

En revanche, le juge rappelle les limites de son office : il ne peut liquider de manière définitive des préjudices reposant sur des éléments incertains ou hypothétiques, comme des indemnités conditionnées à une mutation qui n’a finalement pas eu lieu. Ces postes restent donc renvoyés au fond, où ils pourront faire l’objet d’un débat plus approfondi et contradictoire.

Affaire à suivre… donc ?


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