[Veille] Cas d’école

Un contentieux en matière de chirurgie orthognathique, relevant de la juridiction administrative, offre l’occasion d’aborder la question du préjudice scolaire et universitaire, rarement invoqué dans les actions en réparation du dommage corporel en chirurgie dentaire.

Tribunal administratif, 1ère Chambre, Section 6, Paris, Jugement nº 2309393 du 11 juillet 2025, Requête nº 214325 (lire)

Les contentieux portés devant le juge administratif en matière de dommages corporels liés à des soins dentaires demeurent rares. Cela s’explique principalement par la faible part de l’offre de soins dentaires assurée par les hôpitaux et autres établissements publics, comparativement au secteur privé.

Dans une affaire récente, le tribunal administratif de Paris a engagé la responsabilité médicale de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour des fautes commises lors d’un traitement de chirurgie orthognatique. Parmi les préjudices qu’il reconnaît à la victime et indemnise, le préjudice scolaire et universitaire, un préjudice rarement invoqué dans les actions en réparation du dommage corporel en matière de soins dentaires.

Les faits

Un patient de 18 ans bénéficie d’une chirurgie orthognatique au sein d’un établissement de l’AP-HP. La chirurgie orthognatique est un traitement lourd de repositionnement des mâchoires qui nécessite une prise en charge coordonnée entre un orthodontiste et un chirurgien maxillo-facial.

Dans le cas présent, des complications surviennent. Notamment, du matériel d’ostéosynthèse est posé dans les dents du patient, qui doit subir deux réinterventions chirurgicales.

Une expertise est ordonnée aux fins d’identifier d’éventuelles fautes commises dans le cadre de la prise en charge. Les experts – un chirurgien maxillo-facial et un sapiteur chirurgien-dentiste – relèvent l’existence de trois fautes : un défaut de coordination entre l’orthodontiste et le chirurgien maxillo-facial préalablement à l’intervention, une pose inadaptée du matériel d’ostéosynthèse dans les dents du patient et un défaut d’information en matière de risques liés à l’intervention.

Ces trois fautes ont été considérées par le juge comme la cause directe et certaine de l’ensemble des préjudices subis par la victime, justifiant ainsi une réparation intégrale à la charge de l’AP-HP.

Une large variété de postes de préjudice sont ainsi indemnisés : les dépenses de santé actuelles non remboursées (1 558 €), le besoin d’assistance par tierce personne (3 741 €), le préjudice scolaire et universitaire (voir ci-après), le déficit fonctionnel temporaire (3 600 €), les souffrances endurées (6 000 €), le préjudice esthétique temporaire (5 000 €), le déficit fonctionnel permanent (3 920 €) et enfin le préjudice d’impréparation lié au défaut d’information concernant les risques opératoires (2 000 €).

En revanche, le tribunal a rejeté les demandes au titre du préjudice d’agrément, du préjudice sexuel temporaire et de l’incidence professionnelle, considérant qu’ils étaient déjà couverts par les autres postes. Le montant total alloué au requérant s’élève à 55 439 €, dont 48 439 € en complément d’une provision antérieure.

Le préjudice scolaire et universitaire

Au moment des faits, le patient était scolarisé en classe de terminale. La décision de justice nous apprend qu’il a échoué à deux reprises à obtenir le baccalauréat et ne l’a obtenu qu’après une troisième année de terminale effectuée dans un établissement privé. Les experts diligentés ont conclut que ces redoublements étaient en lien direct avec le dommage subi par le patient, du fait d’un stress et d’une très importante perte de poids.

En tenant compte des conclusions des experts, le juge a reconnu et indemnisé ce préjudice scolaire, en prenant en compte deux dimensions :

  • d’une part, il indemnise la dimension personnelle du préjudice, à savoir, les répercussions vécues par le patient : stress, perte de poids, perte de deux années d’études. Cette indemnisation est élevée (20 000 €) ;
  • d’autre part, il indemnise la dimension patrimoniale du préjudice, à savoir, les frais de scolarité engagés dans le secteur privé afin d’obtenir le baccalauréat (9620 €).
Discussion

Le préjudice scolaire et universitaire constitue, dans la nomenclature Dintilhac, un poste de préjudice distinct et autonome. Apprécié in concreto, il a pour objet « de réparer la perte d’année(s) d’études que ce soit scolaire, universitaire, de formation ou autre consécutive à la survenance du dommage subi par la victime directe [du dommage corporel]. Ce poste intègre, en outre, non seulement le retard scolaire ou de formation subi, mais aussi une possible modification d’orientation, voire une renonciation à toute formation qui obère ainsi gravement l’intégration de cette victime dans le monde du travail« .

Dans le cas présent, le tribunal reconnaît deux dimensions au préjudice scolaire : une dimension personnelle – qui se caractérise notamment mais pas exclusivement par la perte d’années d’étude – et une dimension patrimoniale (le coût engagé pour obtenir le diplôme). Le juge ne reconnaît toutefois pas de modification d’orientation (peut-être parce qu’elle n’est pas invoquée par le requérant ?). Enfin, il rejette l’existence d’une incidence professionnelle, considérant que ce poste de préjudice (lui aussi distinct et autonome) est déjà indemnisé par le préjudice scolaire et universitaire.

Le montant de 20 000 € alloué pour la seule dimension personnelle apparaît élevé (en comparaison, par exemple, des 3 920 € versé pour l’hypoesthésie de la lèvre inférieure gauche) mais témoigne de l’appréciation de la souffrance vécue par le patient, à un moment charnière de son parcours scolaire.


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