Quand la bonne volonté se heurte à un vide assurantiel : un récent arrêt de la cour d’appel d’Amiens illustre les conséquences potentiellement négatives, pour un chirurgien-dentiste salarié, d’une gestion isolée d’un litige, avec, notamment, une implication personnelle et un défaut de déclaration de sinistre.
Les faits
Fin 2021, une patiente consulte dans un centre dentaire associatif. Elle est reçue par un chirurgien-dentiste salarié, à qui elle indique souffrir d’une infection survenue après la pose de 13 facettes au Maroc quelques mois plus tôt. Le praticien entame alors des traitements endodontiques sur les dents concernées, mais fracture un instrument au niveau de la dent 43. N’étant pas parvenu à retirer l’instrument fracturé, il informe la patiente de cette complication.
Par la suite, la patiente se plaint de douleurs persistantes, qu’elle impute à la présence de l’instrument. Le chirurgien-dentiste, entre-temps, a quitté la structure, mais il reste en contact avec elle par mail. Se montrant attentif aux difficultés rencontrées par la patiente, il propose de rembourser le coût d’un soin, en le majorant. Il évoque ainsi le versement d’une somme de 500 euros à titre de dédommagement.
La patiente, estimant cette proposition insuffisante, assigne alors, devant le juge des référés du tribunal judiciaire, le praticien, l’association employeuse et la CPAM, sollicitant une expertise et une provision au titre de son préjudice. Le juge rejette initialement ses demandes, faute d’éléments probants permettant de justifier la recherche de la responsabilité du professionnel. La patiente interjette alors appel.
Devant la cour d’appel, la situation du praticien se complique : l’association gestionnaire de son ancien centre ne le soutient pas. Quant à l’assureur RCP du chirurgien-dentiste, il refuse également d’intervenir, estimant qu’il appartenait à l’employeur de répondre des actes. Une position que la cour valide. Ainsi, en quittant le centre mais en poursuivant les échanges de manière personnelle avec la patiente, le praticien a brouillé les lignes : il s’est personnellement réimpliqué dans une situation qui, juridiquement, ne lui incombait plus. Il se retrouve seul exposé.
Le juge s’interroge alors sur la portée des propos tenus par le chirurgien-dentiste dans ses courriels adressés à la patiente. Notamment pour déterminer si ces propos constituent un aveu de responsabilité quant à la complication survenue. En effet, une telle reconnaissance, même non formalisée, pourrait fragiliser sa position, en particulier dans un contexte où son assureur RCP conteste sa garantie. Si elle ne suffit pas, en soi, à entraîner la déchéance de garantie, une initiative isolée de cette nature reste juridiquement regrettable pour la défense du praticien.
Dans la décision, le juge écarte toute reconnaissance de responsabilité : par ses courriels, le chirurgien-dentiste a cherché à apaiser la situation en proposant un remboursement intéressant d’un soin. Il n’a pas fait aveux de responsabilité à proprement parler. Il est donc nécessaire de missionner un expert judiciaire, aux fins de faire toute la lumière sur les doléances de la patiente et la responsabilité du chirurgien-dentiste incriminé.
Discussion
À trop vouloir bien faire, le praticien s’est retrouvé seul face à la patiente, à son ancien employeur et à son propre assureur. La volonté d’arranger la situation, aussi louable soit-elle, ne doit jamais se substituer à une gestion rigoureuse du litige. Ce contentieux rappelle que les chirurgiens-dentistes doivent toujours agir dans un cadre clair (respect de la réglementation, des bonnes pratiques cliniques et enfin, du cadre assurantiel) et ne jamais improviser leur propre défense en cas de litige sérieux.