[Veille] Le juge n’est pas tenu aux conclusions de l’expert

Cour d’appel de Riom, Chambre commerciale, Arrêt du 17 janvier 2024, Répertoire général nº 22/01605

Un patient se plaint d’une prothèse implanto-portée de grande étendue et souhaite engager la responsabilité de son chirurgien-dentiste libéral. Ce dernier, il convient de le préciser, n’a pas posé la prothèse litigieuse, mais est intervenu à de multiples reprises afin de corriger son instabilité. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt de la Cour d’appel de Riom du 17 janvier 2024.

Les faits

En l’espèce, le patient débute une prise en charge auprès d’un chirurgien-dentiste, le Dr P. K., en 2010. Quelques années auparavant, il avait connu un litige avec un précédent chirurgien-dentiste et avait bénéficié de la pose d’une prothèse implanto-portée de grande étendue (12 dents, reposant sur 4 implants).

Malheureusement, cette prothèse était instable et nécessitait d’être revissée régulièrement sur les implants. Le Dr P., constatant cette instabilité, avait proposé, dès 2012, au patient de refaire la prothèse. Mais ce dernier avait refusé, arguant qu’elle fonctionnait parfaitement.

Au bout d’un certain temps et à la suite des différentes interventions du Dr P., la prothèse n’était plus fonctionnelle. La situation ne pouvant être résolue (les vis n’étant plus commercialisées par la société d’implants, qui avait disparue), le patient s’est engagé dans une action en responsabilité à l’encontre du Dr P., en vue d’obtenir une indemnisation à hauteur de 23 795,50 euros, en réparation des préjudices allégués. Il fonde sa démarche au titre d’une faute technique et d’un défaut d’information.

Malgré une expertise en défaveur du chirurgien-dentiste incriminé, le juge de première instance déboute le patient (demandeur) de ses prétentions. Ce dernier interjette appel du jugement.

La décision d’appel

En appel, le juge revient sur les évènements antérieurs et contemporains aux interventions du Dr P. Il est ainsi possible de découvrir que le patient était informé de la défectuosité de la prothèse dentaire et de la nécessité d’effectuer une réfection totale. Également, le patient a été victime d’une chute qui a affecté la prothèse.

Au cours de l’expertise judiciaire, le patient relate : « le jour de l’incident tout l’appareil du haut a été enlevé. On a constaté qu’un pilier s’est légèrement déplacé. Elle [le docteur [P] a utilisé la roulette. J’ai revu le Dr [D] qui m’a confirmé après examen panoramique et clinique que le pas de vis est mort. Il a réessayé de revisser, cela ne tenait pas. Cela faisait ‘cloc cloc’. Actuellement je n’ai pas de vis à ce pilier d’implant…[…]. Elle a commis une erreur. C’est son métier. Ma demande c’est de tout refaire. Cependant si on peut refaire une partie, je suis partant« .

Malgré le fait que le Dr P. se dédouane de tout acte délétère sur la prothèse, l’expert judiciaire conclut que le contentieux « est né d’un geste technique mal maîtrisé et à une communication erronée de sa part« .

Mais qu’en est-il des éléments de preuve, visant à objectiver ce geste technique mal maîtrisé ?

L’expert écrit que « l’acte contesté n’est pas mentionné dans le récapitulatif des actes mis à notre disposition. C’est par recoupement qu’ensemble, les parties et nous avons convenu de la date du 24-03-2017 comme celle à retenir. Au cours de cette séance, l’usage intempestif d’une fraise sur le système de vissage de la suprastructure du pilier postérieur gauche aurait endommagé la vis« .

C’est sur le fondement de ces conclusions que le juge va écarter toute faute de la part du chirurgien-dentiste, et donc, tout fondement à un engagement de sa responsabilité au titre de l’article L. 1142-1, I du Code de la santé publique :

« Il ressort de ces différents éléments exposés que la prothèse était initialement défectueuse, et que par ailleurs, l’emploi du conditionnel par l’expert dans la phrase « l’usage intempestif d’une fraise sur le système de vissage de la suprastructure du pilier postérieur gauche aurait endommagé la vis » ne permet pas de caractériser la faute du docteur [P] qui n’a nullement reconnu cet incident, contrairement à ce qui est soutenu« .

Bien que l’expert se soit montré sévère avec le chirurgien-dentiste incriminé, le juge n’est pas tenu à ses conclusions et ce, conformément aux dispositions de l’article 246 du Code de procédure civile.

Quant au défaut d’information, également relevé par l’expert, le juge l’écarte, considérant que l’expert ne caractérise pas le défaut allégué et que les devis de réfection totale des prothèses, datés de 2012 et 2016 et bien que non signé, suffisaient à apporter la preuve d’une information. D’ailleurs, le juge d’appel précise que le défaut d’information n’a été allégué par le demandeur qu’à l’issue de la réunion d’expertise, au cours de laquelle l’expert en avait fait mention, et non pendant, ni auparavant !

En conclusion, la responsabilité du chirurgien-dentiste n’est pas engagée, aucune faute (technique ou non technique) ne pouvant lui être reproché.


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