[Veille] Communication du dossier médical

Cour d’appel de Versailles, Chambre civile 1-5, Arrêt du 18 décembre 2025, RG nº 25/01355

Le dossier médical, s’il n’est défini explicitement par aucun texte normatif, se traduit en pratique par la formalisation et la détention, par un professionnel, établissement ou organisme de santé, de l’ensemble des informations relatives au patient et à sa santé. Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, de nombreuses dispositions légales et réglementaires du Code de la santé publique encadrent la constitution, la détention et la communication du dossier médical et ce, dans l’intérêt des patients et de leurs ayants-droits.

La réalité vient parfois se heurter à ces règles, entraînant des difficultés soit pour le patient, soit pour ses ayants-droits, soit pour le professionnel ou l’établissement de santé qui l’a pris en charge. Dans ce genre de situation, c’est au juriste ou au juge de se prononcer.

Une décision de la Cour d’appel de Versailles permet ici d’illustrer le propos.

Les faits

Une patiente, suivie pendant plus de vingt ans (1992–2014) par un chirurgien-dentiste libéral, estime que les soins qu’elle a reçus sont inadaptés et à l’origine de lésions. Elle engage une démarche précontentieuse en 2023 en sollicitant la communication de l’intégralité de son dossier médical, incluant notamment les radiographies anciennes.

De son côté, le chirurgien-dentiste incriminé rétorque avoir cédé son cabinet à un confrère, à qui il avait transmis l’ensemble des dossiers médicaux de ses patients.

En l’absence de transmission des documents demandés, la patiente a assigné en référé le praticien, son assureur (AXA France IARD) et la CPAM afin d’obtenir :

  • Une injonction sous astreinte de communication de l’intégralité du dossier médical ;
  • La désignation d’un expert chirurgien-dentiste (l’expertise judiciaire permettant d’établir la réalité des faits reprochés, d’évaluer les lésions et le lien de causalité entre une éventuelle faute commise par le chirurgien-dentiste et les lésions constatées).

Par ordonnance du 7 janvier 2025, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a ordonné la communication du dossier sous astreinte de 50 € par jour. Le praticien et son assureur ont interjeté appel, uniquement sur le volet relatif à l’injonction de communication sous astreinte.

La question qui se pose ici est de savoir si un chirurgien-dentiste libéral peut être contraint, sous astreinte, de communiquer un dossier médical qu’il déclare ne plus détenir, en l’absence de texte légal fixant un délai de conservation applicable à son statut de professionnel de santé libéral.

La décision

La cour d’appel de Versailles infirme l’ordonnance de référé en ce qu’elle avait enjoint au chirurgien-dentiste de communiquer l’intégralité du dossier médical de sa patiente sous astreinte.

Elle rappelle que les mesures ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile supposent que la partie visée détienne effectivement les documents dont la production est demandée.

En l’espèce, le praticien déclarait ne plus être en possession du dossier médical, celui-ci ayant été transmis lors de la cession de son cabinet plusieurs années auparavant. La cour souligne qu’une partie ne peut être contrainte de produire une pièce qu’elle affirme, par aveu judiciaire, ne pas détenir, une telle injonction étant alors juridiquement inopérante.

Également, la cour ajoute qu’aucune source normative n’impose au chirurgien-dentiste exerçant sous statut libéral une obligation légale de conservation du dossier médical sur la durée invoquée par la patiente (à savoir, 10 ans à compter de la date de consolidation du dommage, durée de prescription en matière de responsabilité médicale). Par extension donc, la cour se prononce implicitement sur l’absence de caractère juridiquement contraignant des recommandations ordinales en matière de durée de conservation (20 ans, lire ci-après la fiche de l’Ordre des chirurgiens-dentistes relatives au dossier médical).

Dès lors, la demande de communication forcée du dossier médical apparaît dépourvue de fondement et d’opportunité. La patiente est déboutée de sa demande, condamnée aux dépens d’appel et au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles, tandis que l’ordonnance de référé est infirmée sur ce point.

Le contentieux en responsabilité pourra se poursuivre, mais uniquement sur le volet « expertise médicale ». En l’absence de dossier, la tâche de l’expert risque d’être compliquée.

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