La résorption radiculaire, ou rhizalyse, est l’une des complications iatrogènes possibles du traitement orthodontique. Elle se caractérise par une perte irréversible de la hauteur radiculaire, pouvant entraîner à terme la perte de la dent si elle n’est pas détectée et prise en charge suffisamment tôt. Cette complication est à l’origine de nombreux sinistres et contentieux mettant en cause la responsabilité des orthodontistes. En voici une illustration.
Entre 1994 et 1997, un patient bénéficie d’un traitement orthodontique. En 2017, un chirurgien-dentiste constate chez lui des rhizalyses et des mobilités anormales affectant les quatre incisives maxillaires et mandibulaires.
En 2020, le patient saisit le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse. Il demande réparation, estimant que les rhizalyses sont la conséquence d’une faute du praticien ayant réalisé le traitement orthodontique.
La décision de justice révèle que le dossier médical du patient — élément central dans toute expertise en dommage corporel — est introuvable. Le demandeur s’appuie sur cette absence pour faire valoir une inversion de la charge de la preuve : selon lui, il reviendrait au praticien de démontrer qu’il n’a commis aucune faute (et non l’inverse).
Le juge se prononce alors sur deux points : les effets de l’absence de dossier médical et l’imputabilité du traitement orthodontique dans la survenue des rhizalyses.
La décision
En ce qui concerne l’absence de dossier médical, le juge écarte l’inversion de la charge de la preuve : pour lui, ce principe ne s’applique qu’aux établissements de santé, seuls prestataires de santé soumis à une obligation légale de conservation du dossier médical (et ce, suivant l’article R. 1112-7 du Code de la santé publique). Nous verrons par la suite qu’une telle position est discutable.
Dans un second temps, le juge se prononce sur l’imputabilité du traitement orthodontique sur les rhizalyses. Pour ce faire, il s’appuie sur les conclusions de l’expert judiciaire.
Ce dernier rapporte qu’en l’absence de dossier médical, il n‘est pas possible de se prononcer sur une faute de la part du professionnel dans l’exécution du traitement orthodontique et dans le suivi clinique, quand bien même les rhizalyses ont pour origine le traitement orthodontique réalisé : « Les résorptions radiculaires ont été induites par le traitement orthodontique. L’absence de dossier médical ne peut pas réduire cette implication de l’orthodontie dans les processus résorptif. À noter cependant que la maladie parodontale est un facteur indépendant du traitement orthodontique mais aggravant du risque de perte des unités dentaires«
L’expert précise également que les mobilités dentaires et le risque de perte des dents ont été majorées par une maladie parodontale active et non traitée, en corrélation avec un défaut de suivi dentaire de la part du patient (absence de soins entre 2010 et 2017, présence de lésions carieuses en bouche).
Reprenant le rapport de l’expert, le juge conclut : « en raison de la perte du dossier médical et en particulier des radiographies qui ont dû être réalisées préalablement au traitement, l’expert judiciaire n’a pas été en mesure d’affirmer l’existence d’un lien de causalité certain entre le traitement orthodontique suivi par Monsieur [D] entre 1994 et 1997 et les résorptions radiculaires constatées en 2017 et n’a retenu qu’une probabilité« .
Il enterre ensuite une bonne fois pour toutes les prétentions du demandeur : « En tout état de cause, les préjudices dont Monsieur [D] sollicite la réparation résultent d’une maladie parodontale indépendante du traitement orthodontique, maladie dont les conséquences ont été aggravées par une absence prolongée de suivi dentaire« .
Débouté de sa demande indemnitaire, le patient est condamné aux dépends de l’instance.
Discussion
Ce contentieux soulève différentes remarques qu’il convient d’aborder ici.
Le premier point à aborder concerne le régime juridique applicable dans le cadre de ce contentieux : les soins litigieux ont lieu entre 1994 et 1997, quelques années avant la loi du 4 mars 2002 qui consacre le régime de responsabilité des prestataires de santé pour faute. Or, le juge fonde sa motivation sur le régime de responsabilité né de la loi Kouchner (« aux termes de l’article L. 1142-1, alinéa 1er, du code de la santé publique […]« ) quand bien même le patient fonde ses prétentions sur ce régime de responsabilité et sur l’ancien régime de responsabilité civile applicable aux professionnels de santé (« Vu l’article 1147 ancien du Code civil […]« ). Si un tel cas de figure est de moins en moins retrouvé en matière de dommage corporel, plus de 20 ans après la mise en oeuvre de la loi Kouchner, il peut être encore retrouvé dans quelques décisions de justice portant sur des prises en charge anciennes (par ex. : CA Angers, 8 mars 2022, RG nº 18/02374).
En pratique toutefois, cet « erreur » de régime juridique n’a aucune incidence, puisque le demandeur incrimine le praticien en arguant l’existence d’une faute : sa responsabilité civile peut être engagée au titre de l’article 1147 ancien du Code civil dès lors qu’une faute dans l’exécution du « contrat de soins » aurait été décelée par l’expert.
Le second point à aborder concerne l’inversion de la charge de la preuve : comme indiqué précédemment, le juge écarte toute possibilité d’inversion de la charge de la preuve pour un professionnel de santé qui n’aurait pas conservé (ou qui aurait perdu) le dossier médical du patient, au motif que seuls les établissements de santé sont soumis à cette règle. Or, en matière civile, la Cour de cassation a admis l’inversion de la charge de la preuve pour les professionnels de santé dès 2014 (Cass. 1re civ., 9 avril 2014, n° 13-14.964, lire à ce sujet la note du Pr Hocquet-Berg).
Egalement, si aucun texte réglementaire précisant la durée de consevation du dossier médicaux n’existe en ce qui concerne les professionnels de santé, les recommandations de bonnes pratiques en la matière édictent depuis longtemps, pour les libéraux, de s’aligner sur la règle qui prévaut pour les établissements de santé. Ainsi, le conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes préconise une durée de conservation du dossier médical pendant 20 ans (Lettre n° 117 de mai 2013, p. 15, dossier thématique de 2020 publié sur l’espace documentaire). À noter également que ce délai de 20 ans doit être considéré pour les patients majeurs et que le délai peut être plus long pour les patients mineurs (une patientèle retrouvée en orthodontie). Le rejet du renversement de la charge de la preuve au seul motif de l’absence d’un fondement réglementaire semble donc discutable et, quoi qu’il en soit, contraire à la jurisprudence actuelle.
Enfin, le troisième point concerne l’imputabilité du dommage. Pour engager la responsabilité civile du praticien, trois éléments doivent être réunis : une faute, un dommage, et un lien de causalité entre les deux.
Il a été possible de voir que la faute ne peut pas être démontrée, faute de dossier. Le dommage est réel (rhizalyses), et l’expert indique que cette complication est belle et bien liée au traitement orthodontique. Pourtant, le juge préfère retenir que ce dommage est imputable à une pathologie parodontale indépendante, aggravée par une absence de suivi.
Il aurait été plus simple — et juridiquement plus clair — de conclure à l’absence de responsabilité du professionnel de santé en se fondant uniquement sur l’absence de preuve d’une faute, sans écarter aussi nettement le rôle du traitement orthodontique dans la survenue du dommage.