[Actu] Centres dentaires et offre de soins : un avenant

Le 30 novembre 2023, les représentants des centres de santé et l’Assurance maladie ont signé un avenant qui prévoit de revoir le modèle économique de ces structures, dès 2024. La mesure phare de cet avenant concerne la répartition de l’offre de soins dentaires sur le territoire.

Quelques rappels

Il y a plus de 10 ans, en 2009, la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » (HPST, dite loi Bachelot) a facilité la possibilité d’ouvrir des centres dentaires sous le statut d’association loi 1901 (à but non lucratif). Cet assouplissement a conduit à l’ouverture d’un grand nombre de centres dentaires et à des dérives (fraudes, montages financiers permettant de contourner le principe de non-lucrativité).

Si la volonté initiale du législateur était de permettre l’ouverture de structures de proximité, à visée sociale, force est de constater que la majorité des centres dentaires sont principalement implantés dans des zones urbaines (91 % des centres dentaires, d’après un rapport de la commission sociale du Sénat de 2023) – et sont même plus densément présents dans certaines régions à forte concentration démographique, comme les régions Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Auvergne-Rhône-Alpes.

Le législateur est intervenu en 2023 pour encadrer davantage les centres dentaires et ce, afin de prévenir les dérives constatées. Pour aller plus loin dans la lutte contre ces dérives, l’Assurance maladie n’hésite plus à déconventionner certaines structures accusées de fraudes. En matière de poursuites enfin, le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentiste se porte partie civile dans les procès intentés aux gestionnaires de centres déviants.

Quant à la problématique de l’installation des centres dentaires en zone densément peuplées (et dotées d’une offre de soins suffisante), elle pourrait être réglée par la nouvelle convention professionnelle du 21 juillet 2023 (parue au journal officiel le 25 août 2023).

Une démographie professionnelle impactée par la nouvelle convention

Une des mesures phares de la convention nationale des chirurgiens-dentistes 2023-2028 porte sur la régulation territoriale de l’offre de soins : sur la base d’un « zonage actualisé », il sera plus difficile pour un chirurgien-dentiste conventionné de s’installer dans une zone qualifiée de non-prioritaire (5% de la population). L’installation d’un praticien sera en effet conditionnée au départ d’un autre.

Cette mesure ne se limite pas aux seuls chirurgiens-dentistes libéraux : son entrée en vigueur a été conditionné à l’application du dispositif aux centres de santé et à leurs salariés. Et ce, afin de garantir une égalité de traitement entre les professionnels de santé, qu’ils exercent en libéral ou en centre dentaire.

La signature de l’avenant n°5 de la convention nationale vient donc affirmer la pleine application du dispositif de régulation territoriale de l’offre de soins, tant pour les chirurgiens-dentistes libéraux que les centres de santé dentaire (et polyvalents avec activité dentaire).

Ainsi, à partir du 1er janvier 2025, aucun conventionnement pour l’installation d’un nouveau centre de santé dentaire dans les zones non prioritaires ne sera possible. Quant aux structures déjà ouvertes dans ces zones, elles ne pourront recruter et augmenter leurs effectifs de chirurgiens-dentistes salariés.

Quelle incidence, à moyen terme ?

La régulation de l’offre de soins est une mesure décriée par une partie de la profession, qui y voit une façon, pour les chirurgiens-dentistes libéraux partant en retraite, de valoriser (ou plutôt, revaloriser), leur cabinet situé dans une zone géographique non prioritaire. Alors que la pratique de la revente du cabinet et de la patientèle prenait un coup dans l’aile depuis de nombreuses années, un mécanisme de régulation de l’installation va permettre de revaloriser des cabinets que personne n’aurait souhaité racheter. Quant aux jeunes diplômés, ce mécanisme va empêcher de l’installation dans des zones dynamique au début de l’exercice, bridant ainsi leur liberté d’installation. Enfin, cette mesure peut également être perçue suivant une logique corporatiste, les syndicats libéraux obtenant une arme supplémentaire pour lutter contre l’explosion du salariat et des centres dentaires.

Mais revenons aux centres dentaires : sur les 1085 centres exclusivement dentaires, 987 sont situés dans des zones non prioritaires. Il est donc possible d’émettre les hypothèses suivantes quant à l’avenir du marché des centres dentaires :

  • Suivant la logique 1 centre ouvert pour 1 centre fermé, la valeur extrinsèque d’un centre va augmenter dès lors qu’il est situé dans une zone prioritaire et qu’il possède un grand nombre de praticiens, indépendamment de sa valeur instrinsèque (qualité des soins prodigués, qualité du plateau technique, réputation). De même, le ratio 1/1 ne conduira pas à une baisse du nombre de centres dentaires dans les zones non prioritaires, mais à l’augmentation du nombre de centres dans des zones intermédiaires.
  • La mesure de régulation territoriale de l’offre de soins prenant effet au 1er janvier 2025, le nombre de centres s’installant en zone non prioritaire pourrait augmenter avant cette date. Sauf si les ARS freinent les dossiers d’ouverture.
  • Les centres dentaires faiblement dotés en chirurgiens-dentistes pourraient réorienter leurs activités (notamment, vers le paramédical) et ce, afin de ne pas perdre d’argent (impossibilité de recruter davantage de praticiens, la mesure de régulation de l’offre territoriale s’appliquant aussi aux salariés des structures).
  • Le recrutement en centre dentaire situé en zone non prioritaire sera plus compliqué, le gestionnaire de centre voulant un chirurgien-dentiste qui reste fidèle à la structure et qui travaille de manière qualitative. Or, le turn over des praticiens dans ces structures est élevé.
  • Les centres dentaires vont davantage s’ouvrir dans les zones prioritaires, ce qui aura une incidence sur la prise en charge des patients habitant ces zones (hypothèse qui peut être émise dès lors que l’on considère que la qualité des soins en centre dentaire et en libéral diffère).

Plus de 10 ans après l’application de la loi HPST, il restera à voir si ces mesures permettront de réguler un secteur propice à la financiarisation de la santé. Au détriment, souvent, du patient et des chirurgiens-dentistes salariés.

Note : le précédent zonage territorial datait de 2011, d’où l’emploi du terme « zonage actualisé »


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